CVR@1 : Le Système de justice pénale canadien demeure un obstacle à la réconciliation

Commission de vérité et de réconciliation | Droit criminel | Forces policières/incarcération

 

Plus d’un an s’est écoulé depuis la publication du sommaire exécutif et des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation (CVR).  Parmi les 94 appels à l’action de la CVR, 12 concernent directement le système de justice pénale, et ce comment ce dernier convient (mal) aux peuples autochtones du Canada.

La CVR est le plus récent ajout à une longue liste de commissions, d’enquêtes et de rapports qui ont sonné l’alarme. La surreprésentation des peuples autochtones dans le système carcéral canadien est un problème sérieux et grandissant à travers le pays. En 1995–96, les Autochtones constituaient 16 % de toutes les personnes condamnées à une peine d’emprisonnement. Cette proportion a grimpé à 28% en 2011-2012, même si les Autochtones ne représentent que 4 % de la population adulte canadienne.[1]

Plusieurs raisons expliquent cet état de fait.  L’une d’entre elles est certainement la discrimination prévalant dans le système de justice pénale.  Des études démontrent que les Autochtones font l’objet d’une surveillance démesurée par les services de police. Or, elles indiquent aussi qu’ils sont souvent laissés pour compte lorsqu’ils sont victimes d’un crime. Une fois arrêtés, poursuivis et reconnus coupables, les Autochtones ont plus de chance que les autres Canadiens d’être condamnés à une peine d’emprisonnement.[2]

Un élément-clé expliquant cette situation est le traumatisme intergénérationnel durable causé par le système de pensionnats autochtones. Comme la CVR l’a relevé :

Il n’est pas surprenant que les enfants ayant subi des abus sexuels dans ces écoles perpétuent parfois cette violence sexuelle plus tard. Il n’est pas surprenant que les enfants qu’on a enlevés à leurs parents et exposés à la discipline militaire, au dénigrement de leur culture et de leurs familles soient souvent devenus de mauvais parents, et parfois même violents. Il n’est pas surprenant que ceux qui ont reçu une éducation de mauvaise qualité et qui ont subi des traumatismes spirituels et religieux à l’école aient pu devenir alcooliques ou toxicomanes, afin de supporter et d’oublier tout cela. Les conséquences pour plusieurs des élèves et leurs familles ont été dévastatrices. (Sommaire exécutif, p. 178-180)

Il n’est pas non plus étonnant que plusieurs prisonniers aient observé de grandes similitudes entre le temps qu’ils ont passé en prison et le temps passé dans les pensionnats.[3]  Les traumatismes et l’éclatement des familles, communs à l’époque des pensionnats, se reproduisent chez une nouvelle génération de familles dont les parents sont emprisonnés.

Enfin, le problème de surreprésentation est exacerbé par les politiques agressives de répression du crime comme les peines minimales obligatoires, les compressions dans les programmes de réhabilitation et les lois limitant la possibilité de recevoir des peines d’emprisonnement avec sursis ou des sentences autres que l’incarcération.  Ces politiques empêchent les tribunaux d’atténuer les traumatismes découlant des pensionnats et du colonialisme, lesquels entrainent encore beaucoup de gens dans le système de justice. Malheureusement, nous avons assisté à l’introduction et à l’implantation de plusieurs politiques de la sorte au Canada au cours des dernières années.

Les appels à l’action de la CVR offrent un excellent modèle pour améliorer la situation.  On y recommande des mesures comme le financement pour l’établissement et l’évaluation de sanctions communautaires réalistes pouvant offrir des solutions de rechange à l’incarcération des délinquants autochtones, et pouvant mieux répondre aux causes sous-jacentes du comportement délinquant (nº31); des amendements au Code criminel afin de permettre aux juges de déroger aux peines minimales obligatoires (nº32, nº34); des services culturellement adaptés aux détenus en ce qui concerne, notamment, la toxicomanie, la violence familiale et conjugale et les difficultés associées au fait de surmonter des abus sexuels (nº36); du soutien pour offrir des programmes autochtones dans des maisons de transition et dans les services de libération conditionnelle (nº37); et la reconnaissance et la mise en œuvre de systèmes de justice autochtones (nº42).  Mais peut-être plus important encore, ils exigent du gouvernement qu’il s’engage à éliminer la surreprésentation des Autochtones en détention (nº30) et à publier des rapports annuels détaillés sur l’évaluation des progrès en ce sens.

Mais quelles étapes le Canada a-t-il franchies dans la mise en œuvre de ce plan?

Jusqu’à ce jour, les plus grandes victoires dans l’intérêt des recommandations de la CVR relatives à la justice pénale sont le résultat de jugements de tribunaux canadiens; une décision récente de la Cour suprême du Canada a établi que les peines minimales obligatoires pour des infractions pouvant être commises dans des circonstances variées enfreignent vraisemblablement l’article 12 de la Charte des droits et libertés,  qui garantit la protection contre les traitements ou peines cruels et inusités.

Le nouveau gouvernement canadien s’est engagé à mettre en œuvre les recommandations de la CVR. Même si la ministre de la Justice a affirmé planifier revoir les peines minimales obligatoires et combler les lacunes associées aux services offerts aux Autochtones qui naviguent dans le système de justice pénale, nous attendons encore de voir comment se matérialiseront ces objectifs.

Comme ma collègue Stephanie l’explique dans son article, notre gouvernement ontarien vient tout juste d’annoncer sa réponse aux appels à l’action de la CVR.  Selon ce plan, 45 millions $ seront alloués sur trois ans pour mettre en œuvre quelques-unes des recommandations de la CVR relatives au système de justice pénale. Ces nouveaux investissements incluent des services ciblés pour les Autochtones victimes de crime; un projet pilote de tribunal en langue autochtone et des efforts pour revitaliser des systèmes juridiques autochtones perturbés par la colonisation; plus de financement pour des programmes de justice communautaire axés sur la guérison et la justice réparatrice plutôt que sur l’emprisonnement; des programmes de libération sous caution culturellement adaptés pour aider à soutenir des accusés d’origine autochtone; et des efforts visant à élargir du programme Gladue.  

C’est un excellent commencement. Toutefois, l’Ontario devra s’engager en ce sens pour beaucoup plus que trois ans afin d’engendrer des résultats positifs.

Le Canada a désespérément besoin d’un engagement complet à long terme de la part des deux paliers de gouvernement pour éradiquer le racisme et le colonialisme dans les prisons. Il s’agit là d’une étape charnière pour amorcer la réparation du tort causé par les pensionnats autochtones. Il ne reste qu’à mettre en pratique toute cette bonne volonté.

[1] Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir : Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, p. 178.

[2] Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir : Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, p. 179.

[3] Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir : Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, p. 180.

 

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