Le Rapport de la Commission Viens – Le défi de la mise en œuvre

Droit autochtone | OKT

 

Les 142 appels à l’action de la Commission Viens sont sortis. Les conclusions sont accablantes, mais peu surprenantes, les Premières Nations et les Inuit vivant au Québec subissent de la discrimination systémique. Cette discrimination va parfois jusqu’à laisser les peuples autochtones sans aucun services publics.

Cette chronique est la première d’une série qui analyse les aspects juridiques de la mise en œuvre de certaines recommandations du Rapport Viens.

 

CONTEXTE

Le 30 septembre dernier, après plus de deux ans de travaux et l’écoute de 765 témoignages, la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics : écoute, réconciliation et progrès [ci-après « la Commission Viens »] a remis son très attendu rapport final. Les témoignages de femmes autochtones de Val d’Or qui ont courageusement dénoncé les abus sexuels, l’intimidation et d’autres comportements abusifs de certains policiers de la Sécurité du Québec dans le cadre d’un reportage d’Enquête sont à l’origine de la mise sur pied de la Commission Viens.

 

Le rapport final de la Commission ne couvre pas spécifiquement les relations difficiles entre les services policiers et les femmes de Val d’Or. Le mandat confié à la Commission Viens était plus large et exigeait un examen de l’ensemble des relations entre les peuples autochtones et les services publics québécois. Le mandat confié à la Commission était :

 

… d’enquêter, de constater les faits, de procéder à des analyses afin de faire des recommandations quant aux actions correctives concrètes, efficaces et durables à mettre en place par le gouvernement du Québec et par les autorités autochtones en vue de prévenir ou d’éliminer, quelles qu’en soit l’origine et la cause, toute forme de violence et de pratiques discriminatoires, de traitements différents dans la prestation des services publics suivants aux Autochtones du Québec : les services policiers, les services correctionnels, les services de justice, les services de santé et les services sociaux ainsi que les services de protection de la jeunesse.[1]

 

L’analyse devait porter sur les 15 dernières années, soit une période allant de 2001 à 2016.

 

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION VIENS

Les peuples autochtones sont victimes de discrimination systémique dans leurs relations avec les services publics québécois. Les conclusions du rapport Viens sont sans équivoque :

 

… les structures et les processus en place font montre d’une absence de sensibilité évidente aux réalités sociales, géographiques et culturelles des peuples autochtones. Résultat : en dépit de certains efforts d’adaptation et d’une volonté manifeste de favoriser l’égalité des chances, de nombreuses lois, politiques, normes ou pratiques institutionnelles en place sont source de discrimination et d’iniquité au point d’entacher sérieusement la qualité des services offerts aux Premières Nations et aux Inuit.[2]

 

Parmi les causes de cette discrimination systémique qui va trop souvent jusqu’à priver les peuples autochtones de services essentiels et briment leur dignité humaine, la Commission pointe du doigt les causes suivantes :

 

  • L’héritage colonialiste sur lequel s’est construit le Québec et qui continue de façonner les manières de penser et de structurer l’intervention étatique en milieu autochtone;

 

  • La méconnaissance généralisée, qui porte son lot de préjugés et de stéréotypes, est également à la source de services publics mal adaptés aux contextes autochtones. Aveugles aux réalités vécues par les Premières Nations et les Inuit, les services publics et les personnes qui les administrent peinent à intervenir en connaissance de cause et en reconnaissance de la valeur des savoirs et pratiques millénaires des Autochtones.

 

  • L’image publique tronquée des Premières Nations et des Inuit est aussi responsable du maintient de la méconnaissance à l’égard des peuples autochtones. En plus d’être sous-représentés dans la couverture médiatique à l’échelle de la province, les Autochtones sont trop souvent dépeints de manière folklorisée ou en véhiculant des stéréotypes, ce qui affecte négativement les programmes politiques des gouvernements démocratiquement élus qui s’ajustent à une opinion publique mal informée.

 

  • Les actions gouvernementales morcelées et non pérennes font en sorte que les solutions mises de l’avant prennent généralement la forme de projets pilotes plutôt que de solutions à long terme. Même les projets qui fonctionnent et qui ont fait leur preuve demeurent trop souvent précaires en ce qu’ils dépendent d’un financement qui doit être renouvelé périodiquement plutôt que d’un engagement sur du long terme.

 

À l’échelle du Canada, ces conclusions n’ont rien de neuf. C’est par contre la première fois dans l’histoire du Québec qu’une commission d’enquête dévoile explicitement l’ampleur de la discrimination systémique générée par les services publics québécois à l’égard des peuples autochtones qui coexistent sur les territoires.

 

APPELS À L’ACTION

Pour retourner la vapeur et déconstruire brique par brique ce système qui depuis trop longtemps enferme, opprime et laisse en marge les peuples qui ont pourtant permis aux premiers colons québécois de survivre lors de leur arrivée sur l’île de la tortue, la Commission Viens met de l’avant 142 appels à l’action.

Ces appels à l’action s’adressent au gouvernement québécois, aux autorités autochtones, aux services de police, aux services de justice, aux services correctionnels, aux services de santé et services sociaux et aux services de protection de la jeunesse.

Vous pouvez trouver l’ensemble de ces 142 recommandations en cliquant ici.

 

MISE EN OEUVRE ET PASSAGE À L’ACTION

Appel à l’action no 1 – Le premier appel à l’action, le plus facile, exige que le gouvernement québécois fasse des excuses officielles et publiques aux membres des Premières Nations et aux Inuit qui ont subi les effets du système discriminatoire québécois. C’est chose faite. Mercredi, le 2 octobre dernier, dans un discours historique, le premier ministre François Legault a exprimé ses excuses officielles aux peuples autochtones et en a appelé au respect de la dignité humaine. S’en sont suivis les excuses des partis de l’opposition, tantôt plus formelles, tantôt plus senties. Pour voir l’ensemble du discours d’excuse de M. Legault, cliquer ici.

Sans actions concrètes, ces excuses ne valent rien. Reste maintenant 141 recommandations à mettre en œuvre.

Appel à l’action no 2 et no 3 – Le deuxième appel à l’action exige que l’Assemblée nationale du Québec adopte une motion de reconnaissance et de mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones [DDPA]. Le troisième appel à l’action est lié au second, c’est-à-dire que le gouvernement québécois doit procéder, en collaboration avec les autorités autochtones, à l’élaboration et à l’adoption d’une loi qui garant la prise en compte des dispositions de la DDPA dans le corpus législatif québécois.

Or, déjà, le Premier ministre Legault insiste sur la nécessité de garantir l’intégrité territoriale du Québec et l’autodétermination du peuple québécois avant d’adopter une motion qui reconnaît et met en œuvre la DDPA au Québec. Les craintes exprimées par Legault sont-elles fondées ou ne sont-elles encore une fois que l’expression de l’héritage colonialiste et de la méconnaissance dénoncés par la Commission Viens ? Le droit à l’autodétermination des peuples n’est pas un jeu à somme nulle où l’autodétermination des uns peut éclipser celle des autres. En d’autres mots, l’autodétermination du peuple québécois ne peut pas servir de prétexte pour brimer l’autodétermination des peuples autochtones.

OKT s’engage à déployer tous ses meilleurs efforts en faveur de la mise en œuvre des appels à l’action de la Commission Viens. Cet article de blogue n’est que le premier d’une série d’articles qui examineront les aspects juridiques de la mise en œuvre des recommandations de la Commission Viens.

La prochaine chronique analyse les effets juridiques de la DDPA sur l’intégrité territoriale québécoise et autochtone.

[1] Décret concernant la constitution de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès, (2016) 1095 G.O.Q. II, p. 24.

[2] Rapport synthèse de la Commission Viens, à la p 11.

 

Pour télécharger une copie de cet article, merci de cliquer ici

 

 

 

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