Les implications de la décision de Northern Gateway sur le projet d’oléoduc Énergie Est

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Dans son récent jugement Nation Gitxaala c. Canada, la Cour d’appel fédérale a annulé l’approbation du projet Northern Gateway Pipeline en raison d’une consultation insuffisante des Premières Nations. (Roger Townshend de notre cabinet a dernièrement commenté cette décision ici). Nous analyserons la question suivante : quel est l’effet que pourrait avoir l’arrêt Nation Gitxaala sur d’autres demandes d’approbation de pipelines qui sont présentement devant l’Office National de l’Énergie (ONE), comme le projet Énergie Est?

En somme, il est probable que le gouvernement canadien attende avant d’élaborer le nouveau processus de consultation de la Couronne pour le projet Énergie Est. La décision de Nation Gitxaala traite de l’option dont dispose le Canada d’utiliser le processus de l’ONÉ à titre de mécanisme de réglementation afin de s’acquitter de son devoir de consultation. Étant donné que la décision de Nation Gitxaala était axée sur les dernières étapes du processus, la Couronne pourrait attendre pour décider du processus de consultation jusqu’au moment où l’ONÉ publiera son rapport au cabinet en mars 2018. Il se peut que le Canada choisisse d’attendre de voir comment la Cour Suprême du Canada tranchera deux dossiers concernant la consultation des communautés autochtones et l’ONÉ qui doivent être entendus en novembre (plus sur ces cas ci-dessous).

Nous pensons qu’une telle approche passive serait une erreur. En effet, la Couronne devrait profiter du temps dont elle dispose dans le dossier Énergie Est pour élaborer une approche inclusive qui inclurait le genre de dialogue sérieux mentionné dans l’arrêt Nation Gitxaala et requis par la réconciliation.

Pour les communautés autochtones impliquées dans le processus Énergie Est, il est déjà clair qu’il y aura des problèmes importants dans le processus de l’ONÉ en ce qui concerne l’évaluation des impacts du projet sur leurs différents droits. Plusieurs intervenants autochtones et non autochtones ont écrit à l’ONÉ pour expliquer leurs préoccupations au sujet des principales lacunes dans la demande du promoteur et dans le processus lui-même afin obtenir les renseignements nécessaires pour déterminer quels en seront les impacts. Un processus parallèle de consultation initié par la Couronne est nécessaire pour s’assurer que toutes les lacunes dans le processus de l’ONÉ soient réglées en temps opportun.

Sans une telle approche inclusive, les groupes autochtones concernés par le projet Énergie Est se retrouveront dans la même situation qu’ils se sont retrouvés dans presque tous les projets énergétiques passés présentés à l’ONÉ; forcés de dépenser des ressources qu’ils n’ont pas afin de prouver l’atteinte potentielle à leurs droits à un organisme qui est mal outillé ou peu disposé à traiter avec eux. [1]

La décision de Nation Gitxaala décrit le cadre de consultation en cinq étapes de la Couronne qui ressemble aux premières étapes du processus de réglementation de l’ONÉ. Ce cadre propose de cerner et de traiter les incidences sur les droits ou titres autochtones et ensuite de consulter directement les Autochtones touchés avant que le cabinet prenne sa décision. La Cour a conclu que la Couronne n’a pas respecté son obligation de consultation dans la mise en œuvre de la phase de consultation directe, et ce, pour un certain nombre de raisons :

  • Le processus a été inutilement précipité;
  • Les peuples autochtones n’ont pas reçu certaines données cruciales relatives à l’évaluation scientifique des risques de déversement de pétrole et  l’atténuation de ces impacts;
  • Les renseignements fournis au Cabinet dans le rapport de consultation de la Couronne étaient inexacts;
  • Le Canada n’a pas partagé d’information sur le bien-fondé des revendications autochtones;
  • Le Canada n’a pas permis à ses fonctionnaires d’engager un véritable dialogue; il leur a permis de recueillir de l’information seulement, mais pas d’en échanger de manière collaborative.

La Cour a poursuivi en disant que la Couronne pourrait corriger ces problèmes avant de prendre une nouvelle décision, et que cela ne pourrait prendre que quatre mois.

 

Le pipeline d’Énergie Est

Énergie Est est un pipeline de 4 500 kilomètres qui doit transporter 1,1 million de barils de pétrole brut par jour de l’Alberta et de la Saskatchewan jusqu’aux raffineries de l’Est du Canada. Le projet comprend à la fois la conversion d’un gazoduc existant en un gazoduc capable de transporter du bitume dilué, la construction d’un nouveau pipeline à cette fin et la construction d’installations connexes telles que des stations de pompage, des terminaux de stockage et des installations maritimes. Le 16 juin 2016, l’ONÉ a jugé que la demande d’Énergie Est était dûment complétée, ce qui signifie que le processus d’examen de 21 mois requis en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie a maintenant commencé.

Contrairement au projet Northern Gateway, le Canada a précisé très tôt qu’il s’en remettrait au processus de l’ONÉ pour s’acquitter de son obligation de consultation, et ce, « dans la mesure du possible ». Si l’on se fit la pratique antérieure comme indication, « dans la mesure du possible » aurait signifié « entièrement ». La Couronne n’a toutefois pas envisagé de processus distinct de consultation directe. Cela signifie qu’il appartient aux groupes autochtones de participer pleinement au processus de l’ONÉ au risque de perdre l’occasion de faire valoir leurs préoccupations concernant le projet. De nombreuses organisations autochtones ont fait parvenir des lettres au gouvernement fédéral dans lesquelles elles ont, d’une part, exprimé des inquiétudes au sujet du processus de consultation de l’ONÉ (disponibles sur le registre de l’ONÉ) et, d’autre part, exigé un autre processus de consultation distinct (potentiellement similaire aux consultations directes de Northern Gateway). Un financement a été accordé aux intervenants autorisés, mais il a toutefois été limité arbitrairement à 40 000 $ par intervenant, soit une diminution par rapport au montant initialement prévu de 80 000 $, et beaucoup moins que la moyenne de 96 000 $ octroyée dans le cadre des audiences du projet Northern Gateway.

Une partie du processus prévu par l’ONÉ inclut la collecte facultative de témoignages traditionnels oraux (TTO) auprès d’intervenants autochtones lors de séances à travers le Canada. Cela s’ajoute à la participation ordinaire accordée à tous les intervenants autorisés dans le cadre du processus de l’ONÉ. Les séances de collecte de ces preuves ont commencé l’automne dernier, soit plusieurs mois avant que la demande d’approbation soit jugée complète par l’ONÉ. De nombreux groupes autochtones ont soulevé des préoccupations quant au processus de TTO, lesquelles ont toutes été rejetées par l’ONÉ. Des sondages auprès des participants ont été envoyés à tous les intervenants afin de recueillir des informations utiles à l’ordonnance d’audience (qui énoncera les étapes du processus de l’ONÉ propres à cette audience). Ce document est attendu ce mois-ci et déterminera si les intervenants seront en mesure de procéder au contre-interrogatoire des experts d’Énergie Est.

La Cour Suprême du Canada devrait se pencher sur deux dossiers en novembre, lesquels abordent le rôle précis de l’ONÉ dans la consultation autochtone (Chippewas of the Thames First Nation c. Enbridge Pipelines Inc. et Hamlet of Clyde River c. Petroleum Geo-Services Inc.). La question en litige dans l’affaire Clyde River est de savoir dans quelle mesure on peut s’en remettre uniquement au processus de l’ONÉ dans les cas où une «consultation approfondie» est nécessaire. Il reste à voir si la Cour choisira de fournir des lignes directrices explicites applicables à des cas comme Énergie Est et Northern Gateway. Il est tout à fait possible que le processus conçu par la Couronne dans Northern Gateway (mais finalement non respecté) puisse être jugé adéquat selon les directives de la Cour Suprême.

Récemment, le gouvernement fédéral a indiqué qu’un processus distinct de consultation se déroulera avec les groupes autochtones sur les questions en suspens relatives aux droits ancestraux ou issus de traités. Ce processus distinct se tiendrait après la publication du rapport de l’ONÉ et serait dirigé par le Bureau de la gestion des grands projets. Les détails précis de ce processus distinct n’ont pas encore été publiés, mais on peut penser qu’il pourrait refléter le processus de Northern Gateway avec les modifications nécessaires fondées sur les directives de la Cour d’appel fédérale (et éventuellement de la Cour Suprême)

By Jeremiah Raining Bird and Matt McPherson


[1] Une étude récente des décisions de l’ONÉ dans lesquelles la consultation des autochtones était en cause a révélé que, dans 71 % des cas, les questions de consultation n’étaient pas résolues. Toutefois, la même étude a constaté un taux d’approbation de près de 100 %dans ces mêmes demandes. Dans de nombreux cas, on a constaté que des consultations en suspens avaient été menées au cours de la période de consultation du projet: S. Graben and A. Sinclair, « Tribunal Administration and the Duty to Consult: A Study of the National Energy Board », University of Toronto Law Journal, Automne 2015.

 

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